Il n’aura fallu qu’une vingtaine de minutes à pied aux Membres du Club royal des gastronomes de Belgique pour rejoindre le restaurant Hertog Jan depuis l’impressionnante gare d’Anvers-Central. Nous sommes chaleureusement accueillis par le directeur du restaurant Joachim Boudens, qui nous dirige vers la petite salle du restaurant à l’austérité assumée où nous attendent plusieurs tables en bois de couleur ébène parées de larges pierres plates couleur sable, se substituant à une nappe.
Après un petit bol de tisane aux herbes devant purifier les palais, nous recevons un verre de très bon champagne de Flavien Nowack accompagné de « sushis de pomme de terre » : cylindres en pomme de terre ferme, emplis de mousse d’esturgeon légèrement fumée, et coiffés de caviar belge. Ces petits prolégomènes s’avalent en une bouchée et révèlent, note après note, leurs textures et goûts harmonieux, terminant sur la touche salée du caviar. Le ton est donné : derrière des préparations plutôt douces et d’apparence simple, se cache une subtile complexité aromatique bien maîtrisée par le Chef, Geert De Mangeleer.

Nous sommes invités, par petits groupes, à visiter la cuisine relativement compacte où le Chef nous souhaite la bienvenue avant de nous convier à nous asseoir autour d’une table dissimulée dans une alcôve. Nous pouvons suivre le travail artistique de la brigade au plus près, tout en dégustant le plat suivant. Au creux d’un large bol de grès émaillé, se pavane une fleur orange de calendula. Sa corolle dissimule la chair finement découpée d’une langoustine marinée dans du muscat, et savamment assaisonnée de cacao et de vanille. Ses étamines ont été remplacées par une poche gélatineuse gonflée d’un jus sirupeux au fruit de la passion. Ce dernier se mêle à la sauce spumeuse sur base d’un jus de langoustine versée au fond de l’assiette et venant compléter cet ensemble aux couleurs vives et aux saveurs très équilibrées, au goût indéfinissable, rappelant quelque chose de familier mais qu’on ne sait nommer.

À notre retour en salle, nous découvrons chacun une petite brioche feuilletée encore tiède, brillante d’une légère caramélisation, délicatement croustillante, « grassement sensuel[le], » à la mie aérienne et moelleuse. À déguster sans modération avec les doigts en ajoutant, ou pas, un beurre fouetté parfumé de plancton. Cela sera le seul « pain » du repas.

Nous poursuivons avec un plat qui sera achevé en salle : de minces lanières de calamars roulées en petites spirales et rangées sur un disque d’artichaut confit sont colorées avec un charbon ardent avant d’être recouvertes d’un riche ragoût de porc ibérique, lui-même coiffé de grattons de couenne de porc croquants. Les calamars sont à la fois élastiques et tendres, le ragoût, épicé et concentré, proche d’une sauce bolognaise, a ce goût réconfortant et intense de ces plats mijotés populaires que vient galvaniser le piquant bien dosé d’un piment.

Arrive un classique du Chef : une mousse de pommes de terre, chapeautée de mimolette finement râpée. Il faut plonger la petite cuillère au fond du gobelet de grès pour faire remonter les saveurs de vanille et de café. L’ensemble est délicieusement savoureux malgré un excès de sel.
Le plat principal est présenté dans des assiettes grises, rugueuses, épaisses, aux formes brutes irrégulières, en nette opposition à leur contenant. C’est un morceau fondant de selle d’agneau de Lozère à la cuisson d’une précision horlogère uniformément rosé, et à la panoufle admirablement croustillante. Un dim sum d’épinard de mer et quelques herbes et fleurs décoratives accompagnent la viande. Plusieurs cuillères de beurre blanc à l’aneth et aux huîtres viennent enrichir le plat en lui conférant un léger goût iodé. L’ensemble est complimenté par un Barbera d’Alba (Vigna Martina, 2022), juteux, intense et à la belle acidité.

On termine comme on a commencé. D’abord avec un tube vertical. Celui-ci est garni d’une crème de ris et d’un sorbet de litchi et de rose. Des pétales de fleur de jasmin et une poudre de thé vert décorent ce dessert frais, léger aux saveurs très raffinées. Ensuite, peut-être en écho à la tisane initiale, un granité de yuzucello, la version japonisante du limoncello, à base de saké et de yuzu, est d’abord poudré de poivre sansho, puis mouillé d’un sirop de sureau, avant d’être proposé aux convives pour rafraîchir leur palais.
Au moment des thés et cafés, nous sommes rejoints à table par l’ancien Directeur du guide Michelin Benelux, qui vient de vivre la même expérience gastronomique que nous. C’est l’occasion de discuter avec lui tout en partageant quelques digestifs. Il nous rappelle les qualités cardinales qu’évalue le guide rouge : le goût, le savoir-faire, l’harmonie, la personnalité et la constance. La conversation pourrait se prolonger très longuement, mais au vu de l’heure, je dois suggérer aux Membres qu’il est temps de quitter le restaurant. Certains poursuivent ces agapes par quelques verres de champagne généreusement offerts par l’un des Membres dans le très animé bar « Barbure. »
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