Pour leur dernier repas de l’année 2025, les Membres du Club royal des gastronomes de Belgique se sont retrouvés dans un temple de la gastronomie belge, reconnu internationalement, le restaurant Boury à Roulers. Les attentes élevées n’ont pas été déçues par la prestation, qui, ab ovo, s’est imposée comme une épopée culinaire, une rhapsodie gustative où, chaque plat, chaque accord mets-vins, chaque geste du service, composait une partition d’une grande élégance. On y découvre une cuisine qui transcende les frontières, marie les terroirs et les époques, et sublime le produit avec une créativité respectueuse. Ici, la gastronomie n’est pas seulement un repas : c’est une expérience synesthésique et un voyage à travers des saveurs méticuleusement orchestrées.
Dès les premières dégustations apéritives, le ton est donné. Le taco de thon rouge, rehaussé par l’acidité d’un ponzu et le piquant du raifort, décoré d’une fleur de bourrache (elle aurait servi à doper les légionnaires romains – aura-t-elle le même effet sur nous ?), se pare d’un umami séduisant grâce à de l’algue kombu. Le calamar en longues lamelles d’une tendreté exemplaire, titillé par une harissa envoûtante et des éclats de feta, associé un krupuk aux olives vertes, révèle une texture à la fois fondante et craquante, une alchimie qui étonne dès la première bouchée. Mais c’est sans doute le caviar, couronnant un œuf peint à l’or et empli d’un mélange de plate de Florenville – seule pomme de terre belge à porter une indication géographique protégée –, de crevettes grises de la mer du Nord et de jaune d’œuf sirupeux, qui subjugue : l’éclat iodé des perles noires, la douceur des crevettes grises, le crémeux enveloppant du jaune, le goût délicat et légèrement « noisetté » de la pomme de terre… un quatuor d’une harmonie rare.

(Champagne Perrier-Jouet . blanc de blancs)
Arrive ensuite au fond d’un bol original creusé dans une sphère, une purée de cerises, on la recouvre prestement d’un foie gras de canard liquéfié, puis d’un disque croustillant de caramel salé, pour devenir une crème brûlée à la minute, d’une finesse inouïe, servie avec une brioche en pâte levée-feuilletée parfaitement croustillante sur l’extérieur, fondante à l’intérieur et au goût délicieusement beurré. Ces prolégomènes aussi savoureux qu’originaux sont accompagnés d’un Champagne Perrier-Jouët Blanc de Blancs cristallin à la bulle délicate effleurant gracieusement le palais.




Que dire de l’huître creuse irlandaise « Ostra Regal » de la famille Boutrais ? Le chef, avec une pédagogie passionnée, explique comment la marée basse de la baie enclavée de Bannow et l’ensoleillement accru (limité tout de même, c’est l’Irlande) permettent de concentrer les saveurs et d’offrir une chair charnue. Servie froide, ceinte d’un collier de perles de maïs minutieusement positionnées, accompagnée de kimchi (la « salsa coréenne » comme l’appelle le Chef) et humectée d’un jus de daïdaï (une variété asiatique d’oranges amères) et de plancton, elle explose en bouche, entre acidité vive, umami profond et douceur de la graminée. À l’inverse, la version pochée dans un beurre blanc, servie dans une porcelaine blanche en forme d’huître, accompagnée d’un tartare de bœuf japonais mariné comme un anticucho (une spécialité péruvienne) et d’une choucroute de chou pointu, est une révélation : le goût iodé prononcé de l’huître, la richesse fondante du wagyu, le croquant acidulé du chou… Un dialogue culinaire entre terre et mer d’une justesse inaccoutumée. Pour celles et ceux qui préféraient éviter les huîtres, le Chef avait prévu de la sériole élevée aux Pays-Bas et un tartare de wagyu aux choux de Bruxelles et topinambours, alternatives d’une élégance similaire, prouvant que chaque détail a été pensé, repensé, peaufiné. Dans les deux cas, c’est un riesling Morstein Grand Cru du domaine Wittmann en Allemagne (2019) qui enivre idéalement ces préparations.

(Wittmann . Morstein riesling. 2019)
L’impeccable service de salle, parfaitement rôdé, est unique en Belgique. Toute l’équipe est là, élégamment vêtue, avec Inge l’épouse du Chef, pour d’abord servir en même temps tous les convives d’un côté de la longue table puis aussitôt après ceux de l’autre côté dans une élégante et preste chorégraphie. Chaque geste est mesuré, chaque explication passionnée, chaque détail soigné.
Au centre d’une assiette blanche concave, une imposante coquille Saint-Jacques de Dieppe, légèrement humectée d’un jus vert à la camomille et associée à du chou-fleur cru et en purée et à des noisettes, est un chef-d’œuvre de subtilité et d’harmonie de couleurs. La noix de Saint-Jacques à la chair fine et ferme, méticuleusement striée, régulièrement colorée à la plancha pour une cuisson parfaite, libère une légère sucrosité qui se marie avec celle du chou-fleur et avec la rondeur torréfiée de la noisette. Le chardonnay du Clos d’Opleeuw en Belgique (2022), caresse les palais et sublime le plat de mollusque.

(Clos d’Opleeuw . chardonnay . 2022)
Nous poursuivons avec un duo royal : un épais morceau d’un très gros turbot (aussi gros que celui de Juvénal?), cuit meunière, accompagné d’un homard bleu, d’un jus de homard et de plusieurs cuillères d’une onctueuse béarnaise, et de textures de choux est un hymne à la mer. La chair du turbot, fondante, ferme et juteuse, crâne devant le cardinal de la table généreux, dense et parfumé. La structure croustillante de chou frisé et de rutabaga séchés est un délice de légèreté. La richesse de la béarnaise doublée de la fraîcheur de l’estragon en bonne proportion, fait glisser l’ensemble d’une manière déconcertante. Avec ses notes de pétrole et de fumé, ses tanins soyeux, le Châteauneuf-du-Pape de Le Lucien Le Moine (Magis 2009), apporte une puissance noble qui épouse à merveille la richesse du plat. Une Membre s’étonne que la roussanne n’est pas mentionnée par le sommelier dans la liste des cépages. Vérification faite on comprend qu’elle « connaît bien son affaire »

(Lucien Le Moine . Chateauneuf-du-pape . Magis . 2009)
Vient ensuite un moment de grâce : un flan aux cèpes parfumé au madère, ponctué de morceaux de cèpes, coiffé de sparassis crépu frit, sur lequel est généreusement râpée de la truffe blanche d’Alba, à pleine maturité. La truffe, puissamment odoriférante et envoûtante, imprègne subitement la salle de son parfum rappelant le camembert ainsi que chaque bouchée de son goût alliacé, tandis que les cèpes fondants et délicats, alliance du rustique et du raffiné, apportent leur parfum de sous-bois évoquant l’humus du chêne, et leur douceur réconfortante. Le Gevrey-Chambertin de Sylvie Esmonin (2018), proposé par l’excellent sommelier Pieter Godts, servi en magnum, présente une robe rouge profonde et intense et déploie des arômes de fruits noirs mûrs, de sous-bois et d’épices douces, créant un accord met-vin d’une intensité remarquable.

(Sylvie Esmonin . Gevrey-Chambertin . 2018 . magnum)
Hommage à la chasse et à l’automne avec un lièvre de la région, cuisiné avec une structure de betterave rouge, des canneberges et un clafoutis de châtaigne et de chicorée. Présenté entier sur un lit de plantes aromatiques dans une belle boîte de bois avant le plat de champignons, le râble a été subtilement fumé, puis coupé dans sa longueur. Un jus réduit savoureux de la viande, une crème mousseuse à l’armagnac, et la douceur acidulée des canneberges mettent en valeur la viande extrêmement tendre et parfumée. Ce plat généreux et complexe, qui célèbre le terroir et la saison est enivré par vin du Château Ausone (Chapelle d’Ausone, 2016), à l’élégance aristocratique, avec ses tanins fondus.

(Château Ausone . Chapelle d’Ausone . 2016)
Transition en douceur avec du coing, discrètement mis à l’honneur dans une composition où il est accompagné d’un sorbet au safran et de graines de potiron méticuleusement arrangées. Le welschriesling de Gerhard Kracher (NR3, 2009), avec ses notes de fruits exotiques et de miel, apporte une touche enjouée et lumineuse. Certains optent pour une belle sélection de fromages accompagnés d’autres vins.
Nous concluons avec un hommage à la gourmandise : des crêpes normandes à la vanille de Sao Tomé, pliées en quatre et fourrées de pommes fondantes, présentées à table dans leur poêle de cuisson et leur sauce encore frémissante, puis servies au creux d’une luxueuse assiette blanche et or. Le sommelier propose un pommeau de Normandie de Christian Drouhin, jus de pomme muté au calvados — un « jus de Newton » disent certains avec humour – compagnon idéal.

(Christian Drouhin . pommeau de Normandie)
C’est le moment, avant les thés, cafés et mignardises – cannelé, Paris-Brest, financiers, chocolats et rouleaux de guimauve aux fruits – où le Chef est de retour, avec son épouse. Compliments. Encouragements. Applaudissements. Séance de signatures. On ressort ébloui, exquisément repu, et surtout, pressé d’y revenir.
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